Analyse des quatre premiers chapitres de "Apprendre à écrire" de B. Cognet et M. Janet
"Tous nos sens nous apportent quelques connaissance des choses. Une riche sensibilité d'écrivain ne traduit pas seulement, dans les mots, les sensations de la vue : lumières, couleurs, formes. Elle note les bruits, les sons, le silence. Un parfum peut avoir, dans la description, l'importance d'une couleur (...) La saveur d'une tige neuve écrasée sous la dent évoque un printemps passé (...); quand Gilliat le marin rencontre la pieuvre, dans un épisode célèbre des travailleurs de la mer, l'horreur de cette rencontre est tout entière dans les sensations du toucher. Il n'est pas jusqu'aux vagues de plénitude ou de malaise venus des organes profonds de notre corps qui ne puissent concourir à la force, à la beauté de l'évocation. L'air des montagnes "qui porte jusqu'à la base des poumons une menthe subtile et glacée" (Colette), nous rend conscients du plaisir de respirer. Un ciel gris nous accable parfois d'une illusion de pesanteur, il semble dit Châteaubriand, "vous écraser sous sa voûte abaissée".(...) L'art de la description est donc fait de la variété des sensations éprouvées et de la variété du style concret qui les traduit." p 12-13.
Il est intéressant d'observer que le chapitre 2, consacré aux lumières vives, traite de façon équivalente des lumières naturelles et des lumières artificielles. Parmi ces sources lumineuses créées par l'homme, on décrit les mouvements d'un phare, les éclairages et enseignes lumineuses qui éclairent la nuit de Broadway et les inventions lumineuses exposées lors de l'exposition universelle de 1937, quasi contemporaine de la première édition de l'ouvrage.
L'électricité et ses multiples possibilités est encore une nouveauté étonnante qu'il convient de savoir décrire, notamment en s'appuyant sur l'expérience d'un grand magasin. Cet ouvrage ne s'adresse pas, loin de là, uniquement aux élèves de Paris qui connaissent les grands magasins depuis la seconde partie du XIXème siècle. Les premiers grands magasins ouvrent à la toute fin de cette période dans les grandes villes (1887 à Bordeaux, 1889 à Lyon, 1893 à Reims, 1912 à Strasbourg, 1928 à Marseille...) On peut donc imaginer, qu'à défaut d'avoir pu découvrir les magasins des grands boulevards parisiens, les écoliers travaillant sur l'ouvrage de Mlles Cognet et Janet ont découvert ces "temples de la consommation", encore extraordinaires dans l'environnement marchand de la première moitié du XXème siècle.
Les différents chapitres qui se suivent débutent par une liste du vocabulaire utilisé pour décrire la "sensation" du chapitre : "lumières vives, lumières pâles, nuit".
Les deux institutrices recensent les différents noms, adjectifs, verbes et expressions utilisés couramment, reviennent sur le sens de certaines expressions : " entre chien et loup, cette dernière expression s'applique à la tombée du jour, au crépuscule, où l'on peut prendre facilement un chien pour un loup".
Elles commentent aussi les adjectifs pour aider les élèves à remarquer des effets de style
Exemple sur la nuit, liste des épithètes proposés
"nocturne, une nuit obscure, une nuit noire, une nuit opaque, épaisse, dense, impénétrable, profonde, une nuit d'encre, la nuit brune"
Exercice : "Les adjectifs qualifiant ici l'obscurité sont-ils tous empruntés au vocabulaire de la vue ? Quels sont ceux qui évoquent une autre sensation ?"
Si j'avais un doute, Mesdemoiselles Cognet et Janet semblent clairement partisanes du positivisme et du camp rationnel. J'en veux pour preuve leur définition des termes astronomie et astrologie :
"L'astronomie est l'étude mathématique et physique des astres"
"L'astrologie désigne les débuts de l'astronomie. Mais, les hommes, ayant cru superstitieusement lire leur destin dans les mouvement des astres, l'astrologie est l'ensemble de ces prédictions chimériques."
Après le vocabulaire et des remarques sur les principaux champs lexicaux, les chapitres présentent quelques courts extraits de textes qui permettront aux élèves d'analyser comment les auteurs choisis décrivent leurs scènes de jours, de crépuscules ou de nuits.
Je note, en poursuivant ma lecture sur la nuit que nos deux auteures privilégient des textes décrivant des scènes extraordinaires, qu'elles soient le naufrage d'un steamer, la vue du ciel par un aviateur d'un orage ou encore les souvenirs de nuits merveilleuses de Chateaubriand, de Grèce ou d'Italie. Ce choix s'écarte des récits des campagnes et du quotidien privilégié par Souché dans "la lecture expressive". Est-ce seulement du au fait qu'elles s'adressent à des jeunes adolescents, sans doute davantage intéressés par ces récits remarquables ? Est-ce un choix éditorial ?
On notera l'intérêt pour que ces élèves démontrent par l'écrit leur compréhension et leur capacité à rendre compte de phénomènes physiques dans l'exercice suivant :
"Evoquer avec précision, sans vous servir pourtant d'un langage scientifique, un phénomène astronomique simple; par exemple : l'aspect et la position de l'ombre d'un objet, au cours de la journée; le cadran solaire; (...), le plus long jour de l'année, l'éclipse."