Vendredi 13 Mai 2022 se tenait un séminaire doctoral sur la science fiction autour du thème : "politique de l'imaginaire". Les trois présentations de doctorants ou de jeunes docteurs appréhendaient les liens entre systèmes politiques et littératures de l'imaginaire.
Ce compte-rendu sera le regard biaisé d'un designer de services, travaillant depuis plusieurs années sur la fiction comme support de compréhension, d'analyse et de conception d'expériences innovantes. Ce chercheur en sciences de gestion, moi, encadre un Projet d'Etudes et de Recherche sur "comment l’utilisation de l’écriture fictionnelle favorise-t-elle la conception de services innovants ?"
Mon compte-rendu s'appuiera essentiellement sur mes notes consécutives à la présentation de Alienor VAUTHEY sur Créations politiques et politiques de la création en fantasy et la discussion qui s'en est suivie. mais je commencerais par une citation empruntée à la dernière présentation : « Sous les extra-terrestres, les pavés ! » : fulgurances de la SF politique chez Kesselring (1977-1979) présenté par Frédéric Guignard.
"La science Fiction doit devenir la littérature de ceux qui veulent changer le monde"
Un courant littéraire s'identifie comme celui d'une littérature Fantaisie réaliste et la conjonction des deux termes entre Fantaisie et Réalisme est a priori antagoniste. Les auteurs s'inscrivant dans ce processus ne sont d'ailleurs pas d'accord avec le sens qu'ils donnent à ce terme.
Doit-on comprendre la Fantaisie réaliste comme une fiction qui, tout en inscrivant dans un environnement fantaisiste revendique de s'inspirer de faits historiques et anthropologiques avérés et ceux qui considèrent que la fantaisie réaliste est davantage un nouveau principe d'écriture qui ne s'interdit pas d'hybrider des éléments de réalistes et de merveilleux. Le réalisme ne serait pas issu du travail de recherche documentaire mais de la capacité du récit à rétablir la complexité du monde.
Premier lien avec le travail de mes étudiants qui soulignent que le design fiction visent à "créer des mondes possibles, crédibles et atteignables."
Si l'objectif de travailler sur la création de mondes "possibles et atteignables" constitue un grand écart avec la liberté que permet la littérature de fantaisie, l'objectif de parvenir à des récits suffisamment cohérent et crédible pour que le lecteur puisse s'immerger et développer une pensée critique est un point commun.
Comment parvient-on à créer de tels mondes ?
La notion de "construction de mondes" est un terme commun aux auteurs de littératures de l'imaginaire mais aussi de créateurs de Jeux de Rôles (au sens D&D) et de design fiction (World Building).
Alienor VAUTHEY s'est appuyé lors de sa présentation sur un interview qu'elle fit de Stefan Platteau (https://www.editions-actusf.fr/p/stefan-platteau/) qui suggéra que la création d'un monde s'appuyait sur deux dimensions :
La définition d'une infrastructure (Irène Langlet nous a proposé de rapprocher cette notion de l'approche de Marx et Engels et peut être défini l'ensemble des conditions concrètes d'existence). Dans la liste donnée par Alienor (cartes et territoires, différents peuples, faunes, flores, ressources naturelles), je ne pouvais pas m'empêcher de juxtaposer les "props" / les supports tangibles mobilisés dans les jeux de plateaux, les jeux de rôles, les jeux vidéos et les films et "qui constituent l’univers et le décor du monde fictif"
La définition de .... comment définir cette seconde partie ? Stefan Platteau n'a pas donné de nom dans sa présentation et a mélangé différents éléments :
Comment les protagonistes / personnages "habitent" ce monde (le perçoivent, s'inscrivent et inscrivent leurs rêves et leurs trajectoires, les atmosphères et les rapports sociaux)
A travers quelles règles / conventions d'écriture ce monde sera-il décrit : qui parle, est- ce un récit au présent ou au passé, suit-on un ou plusieurs protagonistes, y-a-t-il un narrateur omniscient, reprend-on le vocabulaire commun ou recherche-t-on à créer un nouveau registre permettant de s'extraire d'une dimension aussi signifiante, dans notre propre histoire, que le rapport au Christianisme ?
Il me semble que ce qui est décrit dans ce second bloc constitue le scénario et le choix du "maître du jeux" mais j'aimerais bien avoir le retour des gamers de ma communauté sur ce parallèle.
Pour Stefan Platteau, si l'on souhaite créer de nouveaux mondes imaginaires, ce n'est peut être pas dans la recherche de nouvelles infrastructures (toutes les combinaisons plus ou moins inspirées de notre histoire ou de nos légendes n'ont -elles pas été le support de récits de fiction ?) mais dans le second bloc ou des choix narratifs et scénaristiques peuvent réellement créer un monde différent, une histoire qu'on n'a encore jamais lue.
Lors de la discussion, il était passionnant de voir réinterroger les frontières entre littérature fantaisie "commerciale" et "réaliste", Anne Besson nous faisant justement remarquer que toute saga même commençant dans un environnement politique simpliste, une monarchie médiévale vue comme une "commodité créative", verra son environnement se complexifier au fur et à mesure du développement de l'histoire, ne serait-ce que pour maintenir l'intérêt sur l'intrigue et le développement des personnages.
Quoi qu'il en soit, cette séparation dans ce qui permet de créer des mondes renvoie au travail de mes étudiants sur le design fiction : "Les designers n’inventent pas que des histoires, mais inventent des mondes dans lesquels ils sont acteurs, monde que l’on pourrait appeler microcosme fictionnel . Le joueur devient un narrateur d’une situation sociale."`
Le "joueur", plus largement est le lecteur, celui qui s'insère dans l'environnement fictionnel et va, à son tour se projeter et se raconter. Les formes de cette appropriation peuvent prendre celui d'un rôle (jeux de rôle) ou de fan fiction et il reste à inventer d'autres formats de participations pour que ces mondes imaginaires servent pleinement à faire oeuvre de design et à recourir à ces approches pour concevoir de nouvelles expériences de services.
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